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couvcaravanesEn bordure d’un champ de fraises, dans le Kent, sont garées deux caravanes. Elles accueillent les cueilleurs venus d’Europe de l’Est, mais aussi d’Afrique et d’Asie. La plus grande est réservée aux hommes, la seconde aux femmes. Une manière de petite routine s’est installée, sous la houlette de Yola, la chef d’équipe polonaise. L’arrivée d’Irina, candide Ukrainienne pleine d’espoir, bouscule le fragile équilibre de l’équipe. Car la jeune femme a tapé dans l’oeil du gangster qui s’est chargé de la placer dans l’équipe. Et voilà que le soir où cet affreux Vulk vient enlever Irina, un malentendu, digne d’un vaudeville rural, nécessite un repli stratégique de l’équipe. Les Polonais cherchent à rentrer chez eux, tandis les Ukrainiens, comme le seul Africain de la bande, courent après leurs rêves respectifs. Soucieux de gagner quelque argent, ils acceptent de nouveaux emplois aussi peu attractifs que leurs pourvoyeurs sont âpres au gain. Les chemins des différents membres de l’équipe initiale se séparent pour mieux se retrouver, toujours dans des situations improbables, et sous l’oeil dubitatif du chien qui s’est attaché aux pas d’Andriy, le fils de mineur ukrainien se demandant s’il ne serait pas un peu amoureux d’Irina.

De la jetée de Douvres, où la pêche n’est pas bien bonne, aux cuisines d’un semblant de restaurant londonien, en passant par les élevages de poulets, ce sont les coulisses des emplois de misère proposés aux migrants que Marina Lewycka explore. L’histoire est racontée sous de multiples points de vue : chacun des personnages prend la parole à tour de rôle, même le chien, aux interventions pleines de bon sens. Les inquiétudes, les critiques, les tons, tous différents, construisent un récit foisonnant. Le propos de chaque protagoniste renvoie à ses origines, tant dans sa forme (le style ampoulé et maladroit d’Emanuel, de même que le baragouinage du gangster sont souvent fort risibles) que dans ses préoccupations. Quand l’histoire se resserre sur Irina et Andriy, on peut craindre qu’elle ne sombre dans la mièvrerie. Que nenni ! L’intrigue continue de se développer à un rythme soutenu.

Charmée par Une brève histoire du tracteur en Ukraine, je l’ai été à nouveau par ce deuxième roman. Marina Lewycka est dotée d’un rare talent pour entremêler drôlerie et sérieux. Elle dénonce avec beaucoup d’humour les conditions dans lesquelles vivent et travaillent de nombreux travailleurs immigrés. Elle sait mettre le doigt où cela fait mal, mais en laissant toujours se glisser une touche d’espoir.  Le travail sur la langue est un vrai régal, et quand bien même les romans des Editions des deux terres sont de jolis objets et leur traduction de bonne qualité, c’est en anglais que je souhaite lire le prochain, afin de profiter pleinement des trouvailles linguistiques de l’auteur.

Deux caravanes, Marina Lewycka, 2010.

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