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Le salon de mrs pepys

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Le salon de mrs pepys

Archives de Catégorie: Littérature étrangère

A la table des enquêteurs chinois

22 dimanche Nov 2020

Posted by mrspepys in Inclassable, Littérature étrangère, Policier et thriller

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à table, Chen Cao, Chine, Di Renjie, Qiu Xiaolong, Thé, Ti Jen-tsié

Paru initialement sur FulguroPop le 16 octobre 2020, dans le cadre de la série d’articles intitulée « A la table des chimères »

« On n’est jamais trop exigeant avec sa nourriture » Confucius

(crédits photographiques : BDfugue, CBS Interactive Inc.)

A l’image de la minutie indispensable à la cérémonie du thé, l’attention que portent les héros chinois de romans policiers à leur nourriture est tout sauf négligeable. Le temps du repas est pour eux celui de la réflexion ou de la discussion, indispensables à la résolution d’une enquête, de la même manière que le temps de la méditation s’accompagne d’une tasse de thé brûlant. C’est plus particulièrement le cas de l’inspecteur Chen Cao qui est – à bien des égards  l’héritier du juge Ti Jen-tsié (ou Di Renjie), sachant que le premier œuvre dans le Shanghai contemporain et le second au VIIe siècle, pour le compte de la dynastie Tang.

La sagesse très relative du thé

(crédit photographique : AFP/Archives)

Quand le plus ancien se fait apporter par ses gens une théière brûlante au terme de ses audiences, le second fait halte en tout lieu de Shanghai à même de servir un thé, maison d’eau chaude (où il est possible de venir avec ses propres feuilles) comme restaurant de quartier, cantine comme bar à la mode. Mais l’inspecteur a des préférences, et se délecte volontiers d’un Puits du Dragon, cueilli dans la région de Hangzhou, alors que le thé du juge demeure générique, sans qu’on sache s’il est vert ou noir. Chen se laisse convertir au café qui conquiert, au gré des romans, le palais des Chinois, d’abord dans d’anonymes Starbucks et, de plus en plus, auprès de petits commerçants tirant parti du moindre mètre carré disponible pour préparer un café filtre de qualité variable. Cela s’explique sans doute par le fait que l’inspecteur ait suivi des études d’anglais, sans compter qu’il est aussi traducteur de romans policiers américains à ses heures perdues.

(crédits photographiques : Pika Graphic, Jean-Claude Trutt)

Il n’est guère de rencontre, de discussion ou d’interrogatoire qui ne se déroule devant une tasse de thé. Celle-ci est omniprésente sur la table du juge Ti, dans son tribunal autant que dans les auberges où il s’installe quand il est amené à voyager, petite phrase anodine en passant dans le récit et détail des illustrations réalisées par Robert Van Gulik, diplomate et sinologue, qui a fait du réel Ti Jen-tsié un personnage de roman. L’inspecteur Chen ne refuse jamais le thé qu’on lui propose, chez un dignitaire du Parti ou chez une vieille femme, témoin sans réelle importance, et il fixe volontiers ses rendez-vous devant un thé brûlant, dans des restaurants ordinaires, où ses interlocuteurs ont souvent leurs habitudes, aussi bien que dans des maisons de thé plus en vogue, comme le Parfum des Tang où les entorses aux traditions déplaisent à son collaborateur Vieux Chasseur, mais où les salons privés permettent de discrètes conversations. Il rencontre ainsi le juge Ti, qui, lui aussi, aime sa tranquillité, pour mieux converser à l’écart des oreilles indiscrètes.

(crédits photographiques : Mrs Pepys, Film Workshop/Huayi Brothers Media/Pixeltree Studio)

Si le thé délie les langues et facilite les confessions, crée une atmosphère de convivialité et apaise les esprits, il est, à plusieurs occasions, l’instrument du crime dans les enquêtes du juge Ti, du moins celles écrites par Robert Van Gulik, notamment la première, Meurtre à Canton, où Ti déjoue une tentative grossière d’assassinat : « Ainsi, c’était bien le thé. Je dois avouer que j’attendais quelque chose de plus original. », mais aussi celles de son successeur, Frédéric Lenormand, en particulier Thé vert et arsenic. Cette intrigue fait écho à la seule véritable occurrence du thé dans les adaptations cinématographiques des enquêtes du juge Ti Jen-tsié, devenu le détective Dee. Le Ti du roman est chargé de superviser la récolte de thé destinée à l’empereur, quand le Dee du film La Légende du Dragon des mers sauve les élites de la cour d’un thé empoisonné par une société secrète. Dans aucune des enquêtes de Chen Cao, en revanche, le thé n’est lié à un meurtre, même si l’art chinois de la litote et la capacité de la langue à rendre poétique le plus trivial parviennent à lier thé et violence. Chine, retiens ton souffle, dont l’intrigue se déroule à la fin des années deux mille dix, souligne que « l’invitation à prendre une tasse de thé était une nouvelle expression pour désigner une pratique courante de la Sécurité intérieure consistant à placer en détention et à interroger des gens en secret. »

L’étrange gastronomie de l’étranger

(crédits photographiques : Pika Graphic, ePagine/Hall du Livre/Points)

Ni le juge Ti ni l’inspecteur Chen ne boudent les plaisirs de la table, même si l’intérêt du premier pour la gastronomie chinoise reste plus modéré. Robert Van Gulik – et, à sa suite, Frédéric Lenormand – comme Qiu Xiaolong (Chinois, mais exilé aux États-Unis depuis la fin des années quatre-vingt) écrivent d’abord pour un public qui n’est pas chinois, et ils choisissent de mettre l’accent sur ce qui peut sembler exotique au lecteur, faisant ainsi son éducation dans un domaine somme toute méconnu. Quand le premier insiste plutôt sur des particularités culturelles, en s’attardant notamment sur le fonctionnement du boulier chinois ou sur les règles de la boxe chinoise, le second a fait des digressions culinaires un trait caractéristique de ses romans. Il reste néanmoins que Les nouvelles enquêtes du juge Ti, écrites par Frédéric Lenormand, font davantage la part belle au bien-manger, allant jusqu’à imaginer une intrigue dans les cuisines de la Cité interdite avec Mort d’un cuisinier chinois. Alors que Chen passe de longs moments à table ou à discuter de la meilleure manière d’accommoder les crabes, Ti utilise la farine de la Cuisine n°4 pour révéler un indice, sur le modèle de la poudre employée pour relever les empreintes. Quand on découvre avec le juge les coulisses des cuisines impériales, avec l’inspecteur, on déguste mille et une spécialités chinoises, bien éloignées de l’idée qu’un Occidental peut se faire de la gastronomie de l’Empire du Milieu. La cuisine est un ressort de l’intrigue pour l’un quand elle est une passion pour l’autre.

(crédits photographiques : Shaftesbury PLC, 123RF Ltd./Verayarochkina)

Dans chacun des onze romans qui racontent ses enquêtes, il n’est pas un chapitre sans que Chen Cao ne mange, dans une gargote de quartier, sous l’auvent d’un vendeur ambulant, à la table de son collègue Yu – dont l’épouse cuisine divinement –, sur un coin de bureau ou dans un restaurant huppé de la capitale. Il picore des zongzi livrés chez lui en étudiant un dossier et se régale de tofu séché et d’« une petite tête de carpe fumée avec une grande bière » en interrogeant un ancien Garde rouge, aussi bien qu’il peut partager de délicieuses brioches emplies de soupe en galante compagnie, ou s’attabler avec un suspect pour un dîner relevé.

(crédits photographiques : Zappet, Quentin Gaudillière)

Il arrive qu’au détour de ces dégustations, le lecteur fasse des découvertes véritablement surprenantes. L’inspecteur Chen s’attable, dans De soie et de sang, devant des plats dits cruels, tandis que le juge Ti se familiarise avec les « plats cultivés » lorsqu’il explore, pour mettre la main sur un empoisonneur, les Huit Grandes Cuisines de Chine, correspondant chacune à une grande région de l’empire. Chen renonce à goûter la cervelle de singe vivant – et demande même que l’animal soit libéré – mais fait servir à un suspect le fiel d’un serpent tout juste assommé et éventré, et partage avec le même homme une soupe de tortue où l’animal est placé vivant dans une eau dont la température augmente progressivement pour qu’« en se débattant, la tortue absorbe l’essence de la soupe, et sa chair, une fois cuite, aura une saveur extraordinaire. » Si Ti n’est confronté, dans sa visite des cuisines impériales, qu’à un spécialiste de la préparation des « animaux répugnants ou nuisibles : scorpions frits, brochettes de mille-pattes, confits d’araignées… », il partage avec Chen l’expérience d’une cuisine médicinale, largement empreinte de spiritualisme. L’inspecteur se voit offrir un séjour de remise en forme dans un hôtel où lui sont servis des mets destinés à rétablir un équilibre entre le yin et le yang, comme le nid d’hirondelle, quand le juge Ti fait arrêter un cuisinier taoïste qui, trouvant les menus impériaux trop fondés sur le yang, décide de les orienter vers le yin, en y ajoutant de subtiles touches de poison.

(crédit photographique : Columbia Pictures Industries Inc./Village Roadshaw Films Global Inc.)

A suivre ces deux enquêteurs chinois, que quatorze siècles séparent, il devient évident que la gastronomie chinoise est bien plus riche qu’elle ne le semble au premier abord à un Occidental, pétri de clichés nourris parfois de gags redondants, comme celui, dans le SOS fantômes de 2016, de la soupe won-ton de Melissa McCarthy, livrée de manière très aléatoire, et ne contenant, avec une constance étonnante, qu’un ravioli solitaire.

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De regrettables incidents

21 mardi Avr 2020

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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Belgique, Famille, Lecture commune, Mois belge, théâtre

C’est avec une session précédente du mois belge que j’ai découvert Armel Job. J’avais alors été séduite, à la fois par le ton et le propos. Cette année, j’ai pioché un peu au hasard dans les titres disponibles en version numérique, et cela m’a permis de faire une lecture commune avec notre cheffe d’orchestre, Anne.

La famille Touzenbach a atterri à Brul, petite commune belge non loin de la frontière allemande, sans beaucoup de conviction. Ils ont quitté le Kazakhstan dans l’espoir de trouver une vie meilleure, et de meilleurs soins pour Vika, qui souffre du cœur. A défaut, c’est sa sœur, Olga, qui tape dans l’œil du tout nouveau metteur en scène de la troupe de théâtre amateur, Werner. Un peu à contrecœur, Olga accepte la proposition : il paraît que son engagement dans la vie associative pourrait accélérer les démarches administratives. Mais là n’est pas la seule révolution que propose Werner dans le petit monde théâtral. Non seulement il choisit de monter une pièce d’Ibsen à la place des habituelles œuvres grand public, mais, en poussant l’ancien directeur de la troupe vers la sortie, il réveille des souvenirs pénibles et déclenche une succession de regrettables incidents.

« La vie est un théâtre ». Ainsi s’ouvre le roman. Et finalement, il pourrait aussi se clore avec cette phrase. Chacun joue le rôle qu’il s’est choisi ou qu’on lui a attribué. Et quand on s’en écarte un tantinet, les équilibres sont rompus, les conséquences plus importantes qu’on aurait pu l’imaginer. Le mieux est l’ennemi du bien.

Les apparences, les jeux de dupes, et la candeur de ceux qui y croient, tiennent une place essentielle dans ce roman. Armel Job pose un regard juste sur certains défauts des sociétés contemporaines, sur le poids qu’on donne à l’opinion des autres. Mais les accents policiers que prend le roman dans son dernier tiers sont beaucoup moins convaincants. Tout devient alors très alambiqué, parfois inutilement.

En dépit de ses qualités, ce roman n’est pas le meilleur que j’ai lu de l’auteur. La mise en place de l’intrigue, l’exposition comme on dit au théâtre, est d’une longueur à décourager un lecteur bien accroché (merci, Anne, de m’avoir re !donné l’élan nécessaire pour poursuivre). Et puis, quand la situation se décante, tout se bouscule. Au point que les rebondissements s’enchaînent, à la fin du roman, avec un peu trop de précipitation. La vraisemblance en est affaiblie. Le dénouement m’a semblé prévisible, malgré les fausses pistes proposées par l’auteur. Il faudra donc donner une nouvelle chance à cet auteur fétiche du mois belge, avec un autre de ses romans, choisi parmi ceux qu’auront plébiscités les lecteurs du jour.

De regrettables incidents, Armel Job, 2015.

La cravate de Simenon

05 dimanche Avr 2020

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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Belgique, Famille, Mois belge, Simenon

Il a grandi avec elle, cette cravate exposée, bien en vue, dans le salon du pavillon familial. Son père, comptable, l’aurait dérobée dans sa jeunesse. Et depuis, elle fait office de talisman. Parce que cette cravate a appartenu à Georges Simenon en personne, du temps où il était journaliste. Baudouin admire son père, un brin fantasque, toujours de bonne humeur. Alors la cravate, il l’a faite sienne. Il l’emprunte pour réussir ses exposés et ses examens. Et puis, comme il aspire à devenir écrivain, se placer sous la protection de Simenon, c’est déjà un bon début.

Un mois belge sans évoquer Simenon n’est pas un mois belge. Pour varier un peu les plaisirs, je suis allée piocher dans la littérature qui fait du père de Maigret un personnage de roman. Et ce fut une bonne pioche.

Partant d’un objet en apparence anodin, Nicolas Ancion brosse un double portrait. Celui d’une famille ordinaire au premier abord, où le fils révère son père et méconnaît sa mère. Et celui d’une époque aussi, les années 1970. L’arrivée de la télévision, les automobiles, des objets improbables aux couleurs criardes, le rapport au travail. A la fois les rêves et les désillusions des Trente Glorieuses, en somme. Les relations entre parents et enfants, au sein du couple également, sont décrits avec beaucoup de délicatesse, de pudeur, sans néanmoins voiler les émotions.

Scandé en cinq parties, qui s’articulent autour de la figure paternelle, ce court roman se lit d’une traite. L’histoire n’est pas très heureuse, mais des scories humoristiques ponctuent très régulièrement le récit. C’est bien écrit, dans un style enlevé, celui auquel Nicolas Ancion a habitué ses lecteurs. Et, en refermant le livre, c’est la légèreté du ton qui demeure en bouche. A mettre entre toutes les mains, donc, à tous les âges.

La cravate de Simenon, Nicolas Ancion, 2012.

« Je venais de découvrir le bonheur de mentir. Je voulais devenir écrivain. »

A propos de la guerre froide : « D’un côté il y avait les méchants ; de l’autre, les gentils. Chaque chose était à sa place, l’univers était stable, et l’avenir s’annonçait radieux. »

Et pour d’autres idées de lectures belges, c’est chez Anne.

Un sandwich à Ginza

24 vendredi Jan 2020

Posted by mrspepys in Bande dessinée, Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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au restaurant, cuisine, Japon, Manga

Pour renouer avec les billets de lecture, il me fallait un livre à la fois esthétique et passionnant. Ce bel ouvrage des éditions Piquier, publié à l’automne dernier, me paraît faire idéalement l’affaire.

Yôko Hiramatsu est journaliste gastronomique (expression plus jolie que reporter culinaire, comme on la décrit souvent). Elle aime manger, ou plutôt déguster, mais aussi écrire ses expériences gastronomiques.

Le terme est sans doute un peu pompeux, car elle ne fréquente guère les grandes tables. Elle leur préfère les petits restaurants, ceux qui se sont construits une renommée grâce aux talents de leurs cuisiniers, à leurs plats fétiches ou à leur respect des traditions. Seule parfois, mais le plus souvent accompagnée d’amis ou de collègues, elle se délecte de plats typiquement nippons, comme l’anguille préparée de diverses manières, ou la basique omelette au riz. Elle apprécie les petits restaurants familiaux, ceux dont on se transmet l’adresse de bouche à oreille, autant que les restaurants d’entreprise ou les bars. Mais l’exotisme trouve également sa place, avec des incursions dans la cuisine chinoise ou la dégustation de bières belges.

Pour le lecteur occidental, ce livre est une formidable plongée dans la culture japonaise par le truchement de sa cuisine, bien plus variée que les gargotes et les stands des grandes villes européennes ne le laissent penser. C’est une invitation au voyage, qui donne de furieuses envies de se précipiter sur son passeport. Les mots de l’auteur sonnent juste, évoquant avec précision et délicatesse les saveurs et les textures.

Mais le sel de cet ouvrage, ce sont les illustrations de Jirô Taniguchi. Elles viennent relever, comme un assaisonnement idéal, les descriptions de Yôko Hiramatsu. L’amateur de manga retrouve la patte du dessinateur qui sut si bien sublimer la gastronomie japonaise avec Le gourmet solitaire. Les atmosphères, les plans rapprochés sur les plats, les impressions des goûteurs, rien ne manque.

L’association des deux auteurs fait naître une de ces pépites qu’on prend plaisir à feuilleter négligemment de temps à autre, et qu’on finit par relire intégralement, juste pour la bonne bouche.

Un sandwich à Ginza, Yôko Hiramatsu et Jirô Taniguchi, 2011 (2019).

Récit de la dernière année

30 mardi Avr 2019

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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Belgique, Famille, Mois belge

Alors qu’elle souffle ses cinquante bougies, Delphine Maubert sent qu’il est temps de bousculer les habitudes, de s’essayer à de nouvelles expériences. Elle est veuve depuis onze ans et ses enfants sont adultes. Rien ne s’oppose à  ses aspirations toutes neuves. Mais, à peine a-t-elle commencé à réfléchir au tournant qu’elle veut donner à sa vie qu’elle se découvre malade. Le corps médical n’est guère optimiste : il lui reste tout au plus quelques mois à vivre. Il lui faut non seulement accepter la maladie, mais aussi partager la nouvelle avec sa mère et ses enfants. Un soutien inattendu se présente sur le champ de bataille qu’est devenue sa vie, celui du médecin de famille avec lequel se nouent des amours bien tardives.

C’est sans doute le roman le plus poignant que j’ai pu lire de Jacqueline Harpman. L’auteur réussit – on ne sait trop comment – à raconter les derniers mois d’une femme malade avec une délicatesse extrême. On s’apitoie bien un peu sur le sort de Delphine, mais à aucun moment le ton n’est larmoyant. La maladie comme la mort sont présentées comme inéluctables, et par conséquent évoquées avec philosophie. On pourrait presque y voir un guide du bien mourir.

Mais au-delà, c’est encore un appel à profiter de chaque moment de la vie, en particulier ceux que l’on partage avec les êtres qui nous sont chers. Construire des souvenirs communs, transmettre les siens aux générations les plus jeunes permettent d’éviter les regrets. C’est ainsi que Delphine nourrit ses derniers mois avec sa mère et sa fille, qu’elle redécouvre un peu dans l’urgence.

Un très beau roman, très différent de ceux que je connaissais de Jacqueline Harpman. Et une superbe conclusion au mois belge 2019.

Récit de la dernière année, Jacqueline Harpman, 2000.

Trouble

27 samedi Avr 2019

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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Belgique, Famille, Histoire, Mois belge

Engagé dans la police autant par nécessité que par choix, Wilfried Wils fait ses premiers pas sous l’uniforme à une période loin d’être simple. Le maintien de l’ordre est une opération périlleuse quand il faut composer avec les ordres de l’occupant nazi. Pour tenir, le jeune homme ménage la chèvre et le chou, fréquentant aussi bien son ancien professeur de français, collaborateur convaincu, que son camarade Lode, partisan d’une résistance discrète. Cette valse hésitation, il doit en assumer les conséquences quand, bien des années plus tard, sa petite-fille remue des souvenirs qu’il aurait volontiers oubliés.

Trouble. Le titre français est particulièrement bien choisi. Trouble est en effet l’époque reconstituée avec finesse et nuance. Troubles sont les personnages, ni tout à fait bons ni tout à fait mauvais. Le héros – et narrateur – incarne plus particulièrement cette attitude équivoque. Il est difficile de comprendre ses motivations, de saisir si son absence de choix, pour un camp ou un autre, est le résultat d’un manque de volonté ou une décision mûrement réfléchie, celle de garder un pied dans chaque faction pour mieux en servir une des deux. Au regard de son grand âge, on peut aussi se demander s’il n’est pas devenu un tantinet sénile et réécrit l’histoire à sa convenance. Les autres personnages n’ont guère à lui envier. Les actes ou les paroles de chacun finissent par prendre un aspect nébuleux, contestable. Trouble enfin est le dénouement, qui ne résout pas vraiment les questions soulevées par l’intrigue.

La lecture de ce roman est passionnante, car l’auteur sait s’y prendre pour brosser le tableau de la Belgique occupée, de son atmosphère poisseuse et des enjeux bien moins manichéens que beaucoup voudraient le croire. Mais en remuant des souvenirs ambigus, qui peuvent faire écho à des enjeux contemporains, elle est peut-être surtout dérangeante. Difficile de ne pas se sentir mal à l’aise à la lecture de ce roman. Humour et ironie allègent le propos, sans cependant lui ôter sa causticité. Là réside le talent de Jeroen Olyslaegers, qui sait éveiller la conscience de son lecteur tout en l’amadouant avec une intrigue riche et bien bâtie.

Trouble, Jeroen Olyslaegers, 2016.

Une maison parmi les arbres

28 jeudi Fév 2019

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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à la campagne, ELLE, Livres, souvenirs

Morty Lear vient de mourir. Cet auteur de livres pour enfants laisse derrière lui la gestion de ses œuvres, une collection d’objets inspirés d’Alice au pays des merveilles et une maison dans le Connecticut. Tomasina Daulair, son assistante / dame de compagnie hérite de l’ensemble, ainsi que d’un projet de biopic sur Morty, qui conduit l’acteur vedette à explorer le passé du défunt.

Qu’il est plaisant de se plonger dans un roman où la préoccupation première n’est pas une intrigue menée tambour battant avec une avalanche de péripéties ! Comme Morty Lear s’est installé dans sa maison parmi les arbres pour y trouver le calme, le lecteur peut s’installer tranquillement dans un roman paisible où comptent d’abord les personnages. Il  les regarde vivre, réagir aux événements, en particulier la mort de Morty qui bouscule bien des équilibres.

Julia Glass propose une réflexion sur le sens de la vie et, pour ce faire, elle impose un rythme nécessairement lent. Elle dessine le parcours de personnages aux origines et aux ambitions différentes, de l’enfance à l’âge adulte, voire la maturité pour certains. L’influence de la famille, les choix conscients ou contraints guident chacun des protagonistes du roman. En filigrane apparaît aussi le tableau d’une époque, où la jeunesse et l’originalité à tout crin sont davantage récompensées que l’expérience ou la pondération.

Le contexte de l’intrigue, à savoir le petit monde des écrivains et de ceux qui les accompagnent, crée un écho avec certains romans de Paul Auster. Le pouvoir des mots et des livres, les liens avec le public et la question de la postérité d’un auteur sont en effet des thèmes communs. Mais le style de Julia Glass se distingue par une plus grande légèreté, une forme subtile d’optimisme qui fait de la lecture de son roman une parenthèse enchantée.

Une maison parmi les arbres, Julia Glass, 2018.

Les tribulations d’Arthur Mineur

20 dimanche Jan 2019

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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ELLE, Italie, Livres, Paris, souvenirs, Voyages

A mi-chemin entre Le tour du monde en 80 jours et Les tribulations d’un Chinois en Chine, le roman d’A. S. Greer a de faux airs de roman d’aventures. Le prétexte même du périple est un peu fou : Arthur Mineur, dont le nom est un écho manifeste à la condition de celui qui le porte, cherche par tous les moyens à justifier son absence au mariage d’un ancien amant. Pour se fournir une excuse recevable, il décide de répondre positivement à toutes les invitations qui lui ont été faites, même par-delà les océans.

Chaque étape de ce voyage improvisé apporte son lot de péripéties et de surprises, qui conduisent le personnage principal à s’interroger aussi bien sur son passé que sur son avenir. Les situations cocasses s’enchaînent. Sous des dehors un peu farfelus, le propos largement teinté d’ironie amène les personnages autant que le lecteur à s’interroger sur des sujets tout à fait sérieux, comme la solitude et la vieillesse, ou le métier d’écrivain et le génie. L’auteur en profite pour écorner gentiment le petit monde de la littérature, dénoncer avec drôlerie ses travers.

L’intelligence de ce roman tient enfin dans sa capacité à construire, comme une trame à peine perceptible, une intrigue qui se dévide en contrepoint des aventures abracadabrantesques d’Arthur Mineur. Parce que dans toute histoire d’aventures se niche une romance.

Les tribulations d’Arthur Mineur, Andrew Sean Greer, 2017.

Un gentleman à Moscou

13 samedi Oct 2018

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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ELLE, gastronomie, Histoire, Russie

Choisir comme personnage principal d’un roman historique un gentilhomme assigné à résidence dans un grand hôtel est une gageure.  Difficile en effet d’imaginer que l’on puisse ainsi rendre compte des évolutions politiques et sociales d’une URSS dont le héros, le comte Alexandre Ilitch Rostov, est de facto coupé. Pourtant, Amor Towles parvient avec beaucoup de finesse à relever ce défi, notamment grâce à une riche galerie de personnages secondaires qui peuvent, eux, se frotter aux dures réalités soviétiques. Le lecteur se trouve ainsi placé sur un pied d’égalité avec Alexandre Rostov lorsqu’il s’agit de comprendre comment se transforme l’URSS au cours des trente années qu’il passe reclus au Metropol.

Humour et érudition sont également placés au service d’une plaisante description de la vie d’un hôtel de luxe. Les petits secrets et les habitudes, plus ou moins honteuses, des clients comme du personnel, sont mis en scène de manière à reconstituer l’atmosphère qui peut régner dans ce genre d’établissement, ne manquant pas de faire écho à d’autres œuvres, comme les très britanniques Gosford Park ou Downton Abbey.

C’est enfin un très bel hommage à la culture russe, notamment à la littérature et à la gastronomie. Non seulement les références sont légion, mais l’amateur de romans russes trouvera à n’en pas douter une ambiance et des situations qui ne sont pas sans en rappeler d’autres, plus classiques. Un gentleman à Moscou est un roman aussi riche qu’élégant, dans son propos comme sa construction.

Un gentleman à Moscou, Amor Towles, 2016.

La libraire

14 mardi Août 2018

Posted by mrspepys in Littérature étrangère, Littérature contemporaine

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à la campagne, Découvertes, en librairie, Livres, Thé

Loin d’être une nouveauté, ce roman publié en anglais en 1978 est considéré comme un classique par certains. Pourtant, jusqu’à ce que la jolie édition du Petit Quai Voltaire ne retienne mon attention, il m’était resté inconnu.

Une fois veuve, Florence Green s’est installée dans une petite ville de l’East Anglia, Hardborough. Elle s’ennuie un peu, et décide de transformer The Old House, un bâtiment abandonné, en librairie, mettant ainsi à profit le petit pécule que lui a laissé son mari et une expérience de libraire. Le projet est loin de faire l’unanimité dans une communauté où les traditions et l’immobilisme sont généralement la règle. Si à cette hostilité s’ajoutent quelques erreurs de gestion et de jugement, l’avenir de la librairie peut sembler hasardeux.

Encore un livre sur les livres et les libraires ! C’est en effet le fil rouge de la plupart de mes lectures estivales, comme un besoin de revenir à l’essentiel après une année gentiment chaotique.

Au-delà de la sobre couverture qui a attiré mon attention, se tenait une intrigue où l’audace le dispute au fatalisme. Le personnage de Florence Green se révèle admirable par ses choix assumés : acquérir un bâtiment dans un état peu engageant, défendre son projet en dépit des réticences évidentes de la petite élite locale, défendre sa jeune vendeuse quand elle commet des impairs, oser mettre Lolita bien en vue dans sa vitrine… Mais elle peut aussi agacer par sa naïveté crasse ou ses réactions souvent inadaptées aux difficultés apparues en travers de son chemin. Le lecteur se prend évidemment de sympathie pour cette librairie et sa propriétaire. Mais, à mesure que les embûches se succèdent, il voit la catastrophe arriver, et le dénouement inéluctable se rapprocher.

Le plus intéressant est en somme le tableau d’une petite ville anglaise de la fin des années 1950. Les travers des nantis comme des plus humbles sont soulignés avec délicatesse, autant que les plaisirs de la vie littorale anglaise. Il y a un je-ne-sais-quoi de Barbara Pym dans ce roman, dans le ton et dans le propos. L’auteur ne ménage pas ses personnages. L’intrigue semble un prétexte à dénoncer les pesanteurs d’une époque et d’un mode de vie. C’est là tout le sel de cet ouvrage qui a fait l’objet d’une adaptation au cinéma en 2017 (sortie du film – qui n’a visiblement pas enthousiasmé les critiques – prévue pour décembre 2018 en France).

La libraire (The Bookshop en vo), Penelope Fitzgerald, 1978.

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