Avril sera belge

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Tirer parti du confinement pour se consacrer pleinement au mois belge, voilà qui est réjouissant. Le hic, dans cette affaire, est la fermeture des médiathèques et librairies. Qu’à cela ne tienne, les lectures belges seront numériques cette année !

Rendez-vous le 1er avril pour un premier billet.

Merci, Anne, pour cette nouvelle exploration de la littérature belge.

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Se donner du cœur à l’ouvrage

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Voici bien longtemps que, en dehors de l’incontournable mois belge organisé chaque année par Anne, je n’ai cédé à la tentation d’un petit challenge. La tête dans le guidon professionnel, j’ai préféré lire au gré de mes envies, sans contrainte d’aucune sorte.

Et puis, en passant chez ma très chère Sandrion, je découvre un challenge qui ne me demandera aucun effort particulier. Son thème, la cuisine ! Loin d’être un cordon bleu (même si j’essaie de me montrer un peu plus aventureuse dans ce domaine ces dernières années), la gastronomie, les récits culinaires et les romans où l’on mange toutes les cinq pages font partie de mes obsessions.

Me voici  donc embarquée dans cette jolie aventure, orchestrée par Fondant Grignote et Bidib. Une bonne excuse pour écumer les librairies à la recherche de nouvelles pépites, mais aussi pour (re)voir des films où il est question de manger, de cuisiner…

 

Un sandwich à Ginza

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Pour renouer avec les billets de lecture, il me fallait un livre à la fois esthétique et passionnant. Ce bel ouvrage des éditions Piquier, publié à l’automne dernier, me paraît faire idéalement l’affaire.

Yôko Hiramatsu est journaliste gastronomique (expression plus jolie que reporter culinaire, comme on la décrit souvent). Elle aime manger, ou plutôt déguster, mais aussi écrire ses expériences gastronomiques.

Le terme est sans doute un peu pompeux, car elle ne fréquente guère les grandes tables. Elle leur préfère les petits restaurants, ceux qui se sont construits une renommée grâce aux talents de leurs cuisiniers, à leurs plats fétiches ou à leur respect des traditions. Seule parfois, mais le plus souvent accompagnée d’amis ou de collègues, elle se délecte de plats typiquement nippons, comme l’anguille préparée de diverses manières, ou la basique omelette au riz. Elle apprécie les petits restaurants familiaux, ceux dont on se transmet l’adresse de bouche à oreille, autant que les restaurants d’entreprise ou les bars. Mais l’exotisme trouve également sa place, avec des incursions dans la cuisine chinoise ou la dégustation de bières belges.

Pour le lecteur occidental, ce livre est une formidable plongée dans la culture japonaise par le truchement de sa cuisine, bien plus variée que les gargotes et les stands des grandes villes européennes ne le laissent penser. C’est une invitation au voyage, qui donne de furieuses envies de se précipiter sur son passeport. Les mots de l’auteur sonnent juste, évoquant avec précision et délicatesse les saveurs et les textures.

Mais le sel de cet ouvrage, ce sont les illustrations de Jirô Taniguchi. Elles viennent relever, comme un assaisonnement idéal, les descriptions de Yôko Hiramatsu. L’amateur de manga retrouve la patte du dessinateur qui sut si bien sublimer la gastronomie japonaise avec Le gourmet solitaire. Les atmosphères, les plans rapprochés sur les plats, les impressions des goûteurs, rien ne manque.

L’association des deux auteurs fait naître une de ces pépites qu’on prend plaisir à feuilleter négligemment de temps à autre, et qu’on finit par relire intégralement, juste pour la bonne bouche.

Un sandwich à Ginza, Yôko Hiramatsu et Jirô Taniguchi, 2011 (2019).

Long time no see

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Des vacances, une absence de trains, un peu de tri dans la bibliothèque et dans la PAL m’ont fait prendre conscience que j’avais délaissé plus que de raison ce petit coin d’expression.

A l’approche de son dixième anniversaire, ce blog en jachère mérite sans doute un peu plus d’attention, d’autant que je continue à lire (près d’une centaine de livres encore en 2019). Les sirènes d’Instagram, où une publication prend forme en deux clics et trois phrases, m’ont fait oublier le plaisir de construire un billet, de batailler avec une idée qui ne veut pas se laisser mettre en mots.

Au diable donc la facilité ! Faisons donc un peu de ménage en ces lieux désertés, et renouons avec de saines habitudes d’écriture. Qui sait ? il reste peut-être une poignée de lecteurs patients et fidèles…

Tour de France des villes incomprises

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L’été, les récits de voyage ont un goût particulier. Tandis que la foule des vacanciers entreprend la migration saisonnière socialement recommandée, que les réseaux sociaux débordent de photos ensoleillées, je déguste paisiblement ces voyages immobiles.

Repéré voici près d’un an chez Keisha, le tour de France atypique de Vincent Noyoux a été dévoré sans passer par la PAL. L’auteur est journaliste, s’est essayé à la rédaction de guides touristiques, donc habitué à des destinations prisées des voyageurs contemporains. Cette fois cependant, il décide d’arpenter une douzaine de villes françaises mal connues, à la réputation souvent désastreuse. Une « idée saugrenue […] venue en réaction à [s]on noble métier de journaliste de voyage ».

Certaines ont connu leur heure de gloire touristique comme Châtel-Guyon, ou industrielle tels Cholet ou Saint-Nazaire, ou encore les petites villes de la vallée de la Fensch, abandonnées à leur sort par un géant indien de la sidérurgie. Et puis viennent ces villes moquées, semble-t-il, de tout temps. Guéret et Vesoul en étant de parfaits exemples.

Vincent Noyoux se fait fort, en trois ou quatre jours, de découvrir les attraits souvent mal mis en valeur, de ces petites villes de province. Promenades au hasard des rues grises et des rencontres révèlent quelques pépites architecturales ou historiques, mais, au bout du compte, il est difficile de ne pas conserver, comme un petit arrière-goût amer, cette impression de morosité ambiante que, spontanément, on associe aux villes présentées.

A mi chemin entre le guide et le récit de voyage, l’ensemble se lit avec plaisir. Ecrit avec simplicité et sans faux-semblant, ces douze textes peuvent aussi bien donner envie d’aller explorer ces territoires oubliés que décourager les amateurs d’exotisme à tout crin. A une époque où le citadin des métropoles s’escrime à retrouver une authenticité qui relève du mythe, on peut imaginer que les petites villes de province qui sauront s’apprêter pour les recevoir ont un bel avenir touristique.

« Le voyageurs n’ont aucune imagination. Ils partent explorer des terres lointaines parce qu’elles sont lointaines. Ils filent au bout du monde pour fuir leurs semblables. Là-bas, ils s’aperçoivent que le bout du monde est plein de monde. »

Tour de France des villes incomprises, Vincent Noyoux, 2016.

Brèves de lecture, en BD

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Deux mois sans billets, c’est un peu long. Pour dépoussiérer un tantinet ce salon, quelques impressions de lecture de ces dernières semaines.

Entre deux romans, plus ou moins passionnants (des avis viendront…), je me suis remise à lire des bandes dessinées. A commencer par Chevaliers, moines et paysans, le sixième volume de « L’Histoire dessinée de la France ». La société féodale est présentée avec clarté, précision scientifique et beaucoup d’humour. Les éléments essentiels et attendus sont présents : la société d’ordres, la chevalerie, l’influence de l’Église. Et s’y ajoutent quelques trouvailles, comme un chapitre sur l’imaginaire médiéval ou la place des femmes. Le dessin, sobre et élégant, sied parfaitement au propos. On apprend et on s’amuse. Pour les plus curieux, une cinquantaine de pages de mise au point historique viennent compléter la bande dessinée. Séduite par le volume introductif, La balade nationale, je le suis à nouveau par cette plongée médiévale.

Chevaliers, moines et paysans, Florian Mazel et Vincent Sorel, 2019.

La seconde BD du jour est historique, elle aussi. J’en avais entendu parler, sans aller jusqu’à la lire. Et puis, des élèves attentionnés sont passés par là. Dans Cher pays de notre enfance, Étienne Davodeau et Benoît Collombat mettent en scène l’enquête qu’ils ont menée sur un aspect sombre de l’histoire, celle des coulisses de la vie politique, où la violence tient plus de place qu’il n’y paraît. Derrière les ors de la République et les discours feutrés des dirigeants politiques, magouilles, intimidations et assassinats sont plus nombreux que le citoyen ordinaire ne l’imagine. Sans tomber dans la théorie d’un complot politique permanent, les deux auteurs dévoilent des pans pas jolis jolis de l’histoire récente. Ils décillent le lecteur néophyte et ravissent le plus aguerri. Un travail précis, intelligent et esthétiquement réussi.

Cher pays de notre enfance, Étienne Davodeau et Benoît Collombat, 2015.

Né d’aucune femme

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Davantage roman noir que policier, Né d’aucune femme se construit autour d’un mystère qui se dévoile progressivement. En guise d’enquêteur, un prêtre qu’une confession a mis dans une confidence à peine écornée par les ans. L’intrigue est construite avec une étonnante subtilité, ne livrant que ce qui est nécessaire au lecteur pour anticiper le dénouement, sans toutefois lui gâcher les dernières pages.

Ce roman atteint un surprenant équilibre, où la galerie de personnages, sombres et secrets, autant que l’atmosphère servent l’histoire. Tout concourt à tenir le lecteur en haleine, lui faire goûter chaque page, chaque instant de la vie de Rose. Et pour faire tenir cette époustouflante construction littéraire, un style d’une grande qualité. Franck Bouysse écrit d’une plume élégante et précise, qui saisit avec brio la délicatesse des sentiments, souligne les fêlures de ceux que la vie a blessés, autant que leur force de caractère. Passant d’un point de vue à l’autre dans le récit, il alterne les styles et les tons, et enrichit ainsi une histoire d’une ampleur époustouflante.

Quelle belle prouesse littéraire dans un genre qui s’y prête habituellement assez peu.

Né d’aucune femme, Franck Bouysse, 2019.

Récit de la dernière année

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Alors qu’elle souffle ses cinquante bougies, Delphine Maubert sent qu’il est temps de bousculer les habitudes, de s’essayer à de nouvelles expériences. Elle est veuve depuis onze ans et ses enfants sont adultes. Rien ne s’oppose à  ses aspirations toutes neuves. Mais, à peine a-t-elle commencé à réfléchir au tournant qu’elle veut donner à sa vie qu’elle se découvre malade. Le corps médical n’est guère optimiste : il lui reste tout au plus quelques mois à vivre. Il lui faut non seulement accepter la maladie, mais aussi partager la nouvelle avec sa mère et ses enfants. Un soutien inattendu se présente sur le champ de bataille qu’est devenue sa vie, celui du médecin de famille avec lequel se nouent des amours bien tardives.

C’est sans doute le roman le plus poignant que j’ai pu lire de Jacqueline Harpman. L’auteur réussit – on ne sait trop comment – à raconter les derniers mois d’une femme malade avec une délicatesse extrême. On s’apitoie bien un peu sur le sort de Delphine, mais à aucun moment le ton n’est larmoyant. La maladie comme la mort sont présentées comme inéluctables, et par conséquent évoquées avec philosophie. On pourrait presque y voir un guide du bien mourir.

Mais au-delà, c’est encore un appel à profiter de chaque moment de la vie, en particulier ceux que l’on partage avec les êtres qui nous sont chers. Construire des souvenirs communs, transmettre les siens aux générations les plus jeunes permettent d’éviter les regrets. C’est ainsi que Delphine nourrit ses derniers mois avec sa mère et sa fille, qu’elle redécouvre un peu dans l’urgence.

Un très beau roman, très différent de ceux que je connaissais de Jacqueline Harpman. Et une superbe conclusion au mois belge 2019.

Récit de la dernière année, Jacqueline Harpman, 2000.

Trouble

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Engagé dans la police autant par nécessité que par choix, Wilfried Wils fait ses premiers pas sous l’uniforme à une période loin d’être simple. Le maintien de l’ordre est une opération périlleuse quand il faut composer avec les ordres de l’occupant nazi. Pour tenir, le jeune homme ménage la chèvre et le chou, fréquentant aussi bien son ancien professeur de français, collaborateur convaincu, que son camarade Lode, partisan d’une résistance discrète. Cette valse hésitation, il doit en assumer les conséquences quand, bien des années plus tard, sa petite-fille remue des souvenirs qu’il aurait volontiers oubliés.

Trouble. Le titre français est particulièrement bien choisi. Trouble est en effet l’époque reconstituée avec finesse et nuance. Troubles sont les personnages, ni tout à fait bons ni tout à fait mauvais. Le héros – et narrateur – incarne plus particulièrement cette attitude équivoque. Il est difficile de comprendre ses motivations, de saisir si son absence de choix, pour un camp ou un autre, est le résultat d’un manque de volonté ou une décision mûrement réfléchie, celle de garder un pied dans chaque faction pour mieux en servir une des deux. Au regard de son grand âge, on peut aussi se demander s’il n’est pas devenu un tantinet sénile et réécrit l’histoire à sa convenance. Les autres personnages n’ont guère à lui envier. Les actes ou les paroles de chacun finissent par prendre un aspect nébuleux, contestable. Trouble enfin est le dénouement, qui ne résout pas vraiment les questions soulevées par l’intrigue.

La lecture de ce roman est passionnante, car l’auteur sait s’y prendre pour brosser le tableau de la Belgique occupée, de son atmosphère poisseuse et des enjeux bien moins manichéens que beaucoup voudraient le croire. Mais en remuant des souvenirs ambigus, qui peuvent faire écho à des enjeux contemporains, elle est peut-être surtout dérangeante. Difficile de ne pas se sentir mal à l’aise à la lecture de ce roman. Humour et ironie allègent le propos, sans cependant lui ôter sa causticité. Là réside le talent de Jeroen Olyslaegers, qui sait éveiller la conscience de son lecteur tout en l’amadouant avec une intrigue riche et bien bâtie.

Trouble, Jeroen Olyslaegers, 2016.