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Un petit tour à Ostende, ai-je pensé, en choisissant ce titre de Jacqueline Harpman, les yeux fermés, confiante que je suis dans cette auteure. Un tour sur la jetée, dans le vent de la mer du Nord. Que nenni !

L’action du roman se déroule  bien à Ostende, mais dans un quasi huis-clos. Émilienne vient de mourir. Elle laisse ses cahiers à « ce très cher Henri Chaumont, le célibataire précieux aux maîtresses de maison qui souhaitaient une table bien équilibrée« , l’ami de toujours donc, qui ne fait jamais défaut. Replié dans son bureau, il redécouvre les souvenirs d’hier et d’avant-hier par les yeux d’Émilienne. Ceux de leur vie d’avant. Ceux de la jeunesse, quand Henri a fait la connaissance du petit monde qui gravitait autour de Léopold. L’amant d’Émilienne, l’époux de Blandine, et l’homme qu’Henri a aimé toute sa vie.

Car le héros du roman est Henri. Un avocat, un bourgeois habitué des belles tables et de la bonne société. Un homme rompu aux bonnes manières, qui sait se tenir en toutes circonstances. Il a joué son rôle dans cet étrange ménage à trois, où il tenait compagnie aux dames quand Léopold n’y était pas. Et, puisqu’il demeure seul désormais, il fait le point à son tour. Il s’étonne de la dureté d’Émilienne, de son cynisme et son manque de recul parfois. Il se souvient des bons moments, partagés avec les amis. Il fait le bilan d’une vie de dissimulation et de faux-semblants. Le poids des convenances lui a interdit d’être lui même en société. Il a eu des passions, et même une garçonnière. Mais il n’a jamais assumé, avec ses proches, son goût les personnes de son sexe. Et cela a coûté la vie d’un jeune homme, auquel il avait si bien dissimulé ses sentiments.

Comme toujours chez Jacqueline Harpman, le style est ciselé, avec des tournures qui ne sont pas sans rappeler certains textes du XIXe. Tout est sobriété, retenue. Et cela convient à merveille au récit d’Henri, dont la vie a été tout entière dévolue à la bienséance. Le carcan social pèse à chaque phrase. On se marie pour respecter les attentes, pour transmettre du bien ou sauver l’honneur. On fait semblant, on détourne le regard et on dissimule dans l’ombre ce qui ne saurait être montré. La vie de ces bourgeois est un jeu de dupes. Chacun tient son rôle, mais personne n’en est satisfait. Et au seuil de sa vie, Henri prend conscience qu’il n’a pas vraiment vécu. Qu’il a laissé les règles s’imposer à lui, et laisser un arrière-goût amer à son existence.

Avec Jacqueline Harpman, on ne se laisse pas submerger. Subsiste toujours quelque part une lueur d’espoir. Ici, c’est la jeunesse qui vient rendre son sourire à Henri, quand il découvre le dernier tour que lui a joué Émilienne avant de rendre l’âme.

C’est un roman mélancolique, comme souvent chez l’auteure. Un roman tout en délicatesse, qui bouscule un peu le lecteur et célèbre la tolérance autant que la sincérité.

Du côté d’Ostende, Jacqueline Harpman, 1991.

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