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Les biographies de femmes se suivent, mais ne se ressemblent pas dans la sélection du Grand Prix ELLE des lectrices. Il faut bien dire que Gertrude Bell, née en 1868, dans une famille de la grande bourgeoisie industrielle, a vécu pour elle, et non dans l’ombre des hommes qui, pourtant, dominaient largement la société victorienne.
Dès l’enfance, son caractère bien trempé lui permet d’oser bien plus que d’autres filles de son âge. Elle n’est cependant ni un garçon manqué ni une sauvageonne. Assimilant les règles de bienséance que lui inculque sa belle-mère, elle maîtrise l’art de se briller en société. Inscrite parmi les premières à l’université, dont elle sort diplômée en histoire (malgré les professeurs qui exigent que les demoiselles suivent leurs cours en leur tournant le dos…), elle sait aussi tenir salon dans une chambre d’étudiante décorée avec soin.
Sa culture et son intérêt non dissimulé pour la politique ne font toutefois pas de Gertrude Bell une candidate idéale pour le mariage. Et les rares hommes capables d’apprécier à leur juste valeur ses qualités ne conviennent pas à sa famille ou sont déjà engagés par ailleurs. La jeune femme s’investit donc tout entière dans les voyages, notamment au Moyen Orient, qu’elle parcourt accompagnée uniquement d’une équipe d’hommes qu’elle choisit pour leur sagacité, et d’une gouvernante. Elle explore le désert, se fait un temps archéologue. Quelle que soit la rudesse des lieux, Gertrude Belle met un point d’honneur à rester féminine et à la mode, mais également à conserver un confort minimum. Cette femme aussi intelligente qu’excentrique gagne rapidement le surnom de Khatun, la reine du désert. Et quand survient la Grande Guerre, sa connaissance précise d’une région clé dans la lutte contre l’empire ottoman en fait un agent secret, dont Lawrence d’Arabie reconnaît la valeur et l’importance.
Avec cette biographie très documentée, Christel Mouchard propose un document de qualité. La personnalité de Gertrude Bell est cernée grâce à son abondante correspondance, et le contexte historique est présenté avec soin. On en apprend autant sur Gertrude Bell que sur le Moyen Orient du début du XXe siècle. Le ton est sobre, évitant que le personnage soit caricaturé. Difficile de ne pas être séduit par Gertrude Bell, et ce même si ses faiblesses et ses erreurs ne sont pas occultées. Ce fut une femme d’une incroyable modernité, entravée par le carcan de règles sociales encore largement misogynes. Un personnage rejeté dans l’ombre par des ambitions masculines autant que par la négligence des historiens. L’oeuvre de Christel Mouchard permet en somme de réparer cet oubli, sans pour autant tomber dans le travers d’un féminisme outrancier.
Gertrude Bell, Archéologue, aventurière, agent secret., Christel Mouchard, 2015.
ça a l’air drolement bien cette bio ! J’adore cette période et cette région et cette femme semble être extraordinaire.
Et cette histoire de cours suivis de dos… Je devrais demander à mes étudiants hommes de le faire pour équilibrer l’histoire ;^)
Tu devrais essayer, en effet. Comment réagiraient-ils ? 😉
Je me demande si Enard ne l’évoquait pas, dans Boussole?
Je n’ai pas lu Boussole, mais si Gertrude Bell y est mentionnée, ça vaut peut-être la peine d’y jeter un oeil.
Oh tu sais il évoque plein de monde, cela ne sera pas aussi long que le livre que tu présentes.
C’est noté : tes conseils sont toujours bons à suivre. 😉
Je note ce livre, merci beaucoup.
Bonne lecture à venir.