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couvlegrandcoeurC’est une antique frustration qui a conduit à cette lecture. Une arrivée trop tardive à Bourges, après une journée passée dans le Sancerrois, m’avait fait trouver portes closes au palais Jacques-Coeur. La déception de n’avoir pu visiter la « grand’maison » a été ravivée par la mise à l’honneur du personnage dans les nouveaux programmes d’histoire de Cinquième. Préparer ce pan de cours s’est révélé encore plus passionnant que je l’avais imaginé, et l’envie d’une excursion en Berry s’est rallumée. Et voilà qu’avec sa sortie en poche, le roman de Jean-Christophe Rufin étale sa couverture dans les devantures de toutes les librairies. Il était temps de céder enfin…

Au crépuscule de sa vie, menacé par des ennemis mal identifiés, Jacques Coeur entreprend d’en faire le récit. Une enfance aux côtés d’un père fourreur, les premiers pas dans les métiers d’argent, qui le conduisent brièvement en prison, et la découverte de l’Orient constituent ce que l’on pourrait nommer la formation du personnage. Dès lors que ses idées se font plus claires, que son ambitieux projet se dessine, Jacques Coeur se montre plus audacieux. Pour réaliser son dessein, il se rapproche du roi Charles VII, qui le nomme Argentier. A force de travail, mais aussi grâce à une forme de génie des affaires, le petit bourgeois berrichon trouve sa place parmi les familiers, et même les conseillers du roi. Sa fortune croît au même rythme que le nombre de ses ennemis. Lucide sur la précarité de sa situation, conscient de la duplicité du roi, il se prépare à la chute qui ne parvient pas à l’anéantir, jusqu’aux derniers jours sur l’île de Chio.

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Statue de J. Coeur à Bourges

Cet ouvrage hésite entre deux genres, entre roman et biographie. Il est évident qu’un travail poussé de documentation a été mené en amont. L’auteur livre d’ailleurs, dans une postface aussi riche qu’instructive, ses sources. Mais le choix de la première personne pour raconter cette vie extraordinaire, comme dans des confessions ou des mémoires, donne au texte un ton intimiste qui l’éloigne des livres d’histoire. Jean-Christophe Rufin a trouvé un équilibre proche de la perfection pour rendre hommage à Jacques Coeur. Il comble avec élégance – et vraisemblance – les blancs laissés par l’histoire. Conscient des libertés que peut s’accorder un romancier, le lecteur savoure, page après page, le récit d’une vie fascinante autant que le tableau de la France de Charles VII. La place accordée à Agnès Sorel (autre personnage captivant de l’époque) ajoute la touche sentimentale indispensable pour contrebalancer l’aspect carriériste de Jacques Coeur.

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Agnès Sorel, d’après J. Fouquet

Il est très rare que je me laisse emballer par une lecture au point d’en faire un coup de coeur, mais ce roman en est indiscutablement un. Non seulement le propos, mais aussi le style de l’auteur m’ont tant séduite que je me suis efforcée de ralentir cette lecture, pour la faire durer le plus possible. Et pour la prolonger, un court séjour à Bourges est en gestation…

Le grand Coeur, Jean-Christophe Rufin, 2012.

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